Éditorial : la sous-évaluation chronique de notre valeur

Dr. Jarod Carter, DPT, est un physiothérapeute pratiquant à Austin au Texas. Il fait la promotion d’un modèle de gestion clinique privée, offrant des séances de traitement de 60 minutes par patient, lequel débourse l’ensemble du prix de la séance de sa poche. Il collabore avec Physiotherapeute.com pour nous offrir une perspective différente de la profession, en provenance de nos voisins du Sud.


 

Il ne se passe pas un mois sans lequel on ne me pose pas la question suivante : comment parviens-tu à convaincre des patients de débourser, de leur poche, jusqu’à 150$ par heure de traitement en physiothérapie?

Généralement, la question est précédée d’une longue discussion pendant laquelle je dois expliquer le modèle d’affaires de ma clinique, qui ne dessert que des patients déboursant entièrement le montant des services. Je ne connais pas les réalités du système de santé canadien, mais je crois que la problématique de notre profession dépasse les frontières.

Pourquoi? J’ai l’impression que la majorité des physiothérapeutes sont coupables du même vice que le grand public : la sous-estimation de nos services.

Pensez-y instant, si vous êtes parmi ceux qui obtiennent des résultats, moyens comme bons, avec vos patients. Vous leur permettez de gagner de la mobilité, de faire de l’exercice et de vivre – oui, vivre – avec moins ou sans douleur ni dysfonction. Nous permettons aux gens de pouvoir soulever leur grand-mère pour manifester leur joie, de pouvoir courir alors qu’ils ne pouvaient le faire pendant des mois et d’être en mesure de bouger la tête adéquatement lorsqu’ils souhaitent faire leur angle mort au volant. Ne pensez-vous donc pas que cela vaut plus que les 20$ déboursés en supplément des organismes-payeurs, payés 2 à 3 fois par semaine, quelques mois d’une vie?

Je comprends que tout est relatif, et il pourrait y avoir des arguments et des critiques concernant mon point de vue, dépendamment des circonstances individuelles vécues par ces patients, mais je ne tente pas d’imposer une formule de paiement qui fonctionnera pour tous, ni même de comparer des modèles d’affaires ; ce n’est pas ce qui m’intéresse dans ce cas-ci.

Je tente simplement de mettre l’emphase sur un état d’esprit répandu qui nuit à la valeur de ce que nous faisons. Comment pouvons-nous aspirer à ce que le grand public reconnaisse justement la valeur de nos services, si nous-mêmes sommes incapables de le faire?

J’espère que mes collègues s’exprimeront à ce propos. Bien sûr, il faut que nos services soient accessibles à tous. Et bien sûr, tous les patients ne disposent pas des moyens de payer entièrement et sans assurances, les frais associés aux cliniques ayant mon modèle d’affaires. Encore une fois, ce n’est pas ce dont je veux parler en m’exprimant ici. Je veux que nous, physiothérapeutes, regardions de quelle façon nous voyons et estimons la valeur des services que nous offrons.

Une grande partie du problème est liée à ce que j’appelle l’habituation. Je pense que la vaste majorité des physiothérapeutes n’ont simplement jamais connu de modèle différent de celui où un patient, doté d’un organisme-payeur, se présente à la clinique, reçoit des services pendant une heure entière et débourse 20$ en quittant, puisque ses frais sont couverts d’une façon ou d’une autre par un tiers.

Quand cette réalité résume la vie professionnelle d’une personne, je comprends parfaitement sa réaction qui pourrait lui laisser croire que son heure de travail vaut, aux yeux du consommateur, environ 20$. Est-ce que ce que cela rend cette opinion et cette valeur acceptable? Je vous réponds non! Ce n’est simplement pas la norme.

Je souhaite que tous ceux parmi vous qui ont passé une partie de leur carrière dans de tels environnements se questionnent. Bien sûr, les assureurs et organismes-payeurs vont, j’ose espérer, vous payer bien au-delà des 20$ par traitement. Mais ne pensez-vous donc pas que c’est inacceptable que votre patient ait l’impression qu’une séance en physiothérapie vaut ce prix?

À mon avis, même le physiothérapeute le moins compétent offrira des services qui valent bien plus, mais je pourrais être biaisé.

(Pour jouer à l’avocat du diable, si vous voyez 4 patients en même temps, que vous ne faites que compter leurs répétitions et que vous déléguez les traitements aux thérapeutes en réadaptation physique, alors oui, le patient a raison de croire que vos traitements valent ce prix-là.)

On se plaint des assureurs et des organismes-payeurs qui ne nous paient pas autant qu’ils le devraient. Je crois que c’est, en partie, peine perdue tant que la majorité des physiothérapeutes sous-estimeront la valeur de leurs propres services.

À mon avis, l’état d’esprit est fondamental parce que même si votre clinique privée est l’entreprise la plus parfaite possible, si votre état d’esprit à propos de votre entreprise n’est pas optimal, vous aurez de la difficulté en tant que propriétaire.

C’est pour cette raison que j’ai dédié un chapitre entier de mon livre à ce sujet. Je crois que cela fait trop longtemps qu’on, en tant que profession, devrait évaluer notre propre perception de notre valeur et celle perçue par nos patients et le grand public.

Comment pouvons-nous nous améliorer et augmenter la valeur qu’accorde le grand public à la physiothérapie? J’ai plusieurs idées à ce propos et je suis sûr que vous aussi, mais je commencerais avec ceci : tout doit commencer avec nous-mêmes.

Si nous ne percevons pas nos services comme étant de grande valeur, que nous n’en parlons pas de cette manière-là, alors ni les patients, ni le grand public, ni les assureurs et organismes-payeurs n’accorderont de grande valeur à nos services.

Alors que pensez-vous de tout cela? Pensez-vous que les physiothérapeutes se sous-évaluent? Faites-moi part de vos commentaires et partagez cet article avec vos collègues pour nous permettre, tous ensemble, de mûrir la réflexion.


À propos de Dr. Jarod Carter

Dr. Jarod Carter est un physiothérapeute américain gradué du doctorat en physiothérapie de  l’Université du Texas. Il a établi une clinique privée à Austin (Texas), qui adopte un modèle d’affaires particulier, n’acceptant que les paiements directement et entièrement déboursés par les patients.

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Pour s’émanciper des organismes-payeurs et se permettre de passer jusqu’à une heure par séance de traitement avec ses patients, il a choisi ce modèle et a publié un blogue, de même qu’un livre,  à ce propos. Grâce à sa vision, il offre des séances de traitement de 60 minutes pour chaque patient et n’en voit ainsi qu’un seul par heure. À son avis, il perd ainsi moins de temps à gérer la paperasse associée aux demandes de remboursement par les tiers payeurs.

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